Appel à textes - Voix d’enfants, regards d’enfants

Huck FinnVendredi 27 et samedi 28 mars 2015

Université Bordeaux Montaigne

Organisatrices : Stéphanie Benson, Sarah Dufaure, Stéphanie Durrans et Lhorine François

 

Ce colloque s’inscrit dans l’axe « Puissances du mode mineur » de l’Equipe d’Accueil CLIMAS et vise à interroger la place de l’enfant dans la littérature, le cinéma et les arts visuels anglophones sous cet angle spécifique. Il s’agit d’envisager le mineur non pas comme un lieu de relégation ou de péjoration, comme un espace inférieur, manquant, ou revendicatif, mais plutôt d’extirper le mineur de cette structure binaire hiérarchique et de rendre compte de ce qu’il peut être en lui-même une alternative puissante, efficace et nécessaire au mode majeur. Partant du postulat que le majeur se fonde sur l’existence d’un modèle établi auquel il faudrait être conforme, d’une structure de pouvoir ou d’une norme, nous souhaitons explorer la façon dont le mineur s’efforce de défaire la structure dominante, de la mettre en tension avec la possibilité d’une contradiction interne. Le mineur se présente alors comme un processus actif, toujours « en puissance », ne visant aucunement à accéder au majeur et à s’y stabiliser dans un statut, mais au contraire à explorer la puissance active de la marge, de l’à-côté, du retrait.

Etymologiquement, l’enfant est « celui qui ne parle pas », celui que l’on a réduit au silence et qui n’a pas voix au chapitre. La voix de l’enfant a pourtant fini par investir une bonne partie du champ littéraire, à un point tel que certains critiques ont fini par dénoncer cet engouement. Par-delà l’effet de mode auquel il est associé, ce phénomène témoigne aussi parfois d’un engagement idéologique ou esthétique que nous souhaitons interroger. On pense bien sûr à Whitman (qui recourt à la voix de l’enfant au début de Leaves of Grass pour poser les bases de sa réflexion poétique et philosophique) ou encore à Emerson qui développe l’idée (dans « The Poet » et « Nature ») que l’enfant est naturellement poète et que tout poète doit retrouver l’enfant qui sommeille en lui. C’est là une perspective susceptible de mettre en déroute les modes majeurs de perception qui se sont enfermés dans une certaine rigidité, dans une tendance à étiqueter, compartimentaliser et discriminer le monde. L’enfant crée ses propres règles, transcende les interdits, perçoit le monde avec une innocence et une fraîcheur créatives car il est plus proche de la « source », n’a pas encore été aguerri et désillusionné par l’expérience. De par sa capacité démiurgique à inventer ses propres mondes alternatifs, l’enfant se fait force de proposition et de révolution du monde poétique. Plus récemment nombre d’auteurs ont aussi eu recours à la voix de l’enfant pour exprimer la peur, l’angoisse et la souffrance face à la mort, par exemple. D’un point de vue psychanalytique, retrouver son moi-enfant peut s’imposer pour des raisons thérapeutiques (comprendre et exorciser ses peurs et ses souffrances, pallier l’angoisse de la mort, etc.).

Mais comment représenter le monde de l’enfance lorsqu’on a soi-même quitté ce monde-là, lorsque l’expérience nous a fait perdre la fraîcheur de ce regard que l’enfant porte sur le monde ? Le regard ne reste-t-il pas au final toujours médié par le point de vue adulte ? Nombre d’auteurs, conscients du défi que constitue le simple fait de choisir un enfant comme « centre de conscience », se sont heurtés à ces difficultés d’ordre esthétique (ex. : H. James, What Maisie Knew). La vision du monde que véhicule l’enfant est d’une simplicité qui s’accorde mal avec une conception de l’écriture comme un art noble. C’est aussi cette tension entre deux modes d’écriture qui nous intéresse, à savoir comment le registre mineur du récit d’enfant peut nourrir l’art majeur de l’écriture dont se réclament les plus grands. On pourra ainsi se demander si certaines figures de style ou certains procédés littéraires se prêtent mieux que d’autres à la restitution des points de vue d’enfant (par exemple, parataxe plutôt qu’hypotaxe, métaphore plutôt que métonymie, figures de déplacement comme l’hypallage, figures de juxtaposition ou d’empilement comme la polysyndète, figures de répétition dues à un vocabulaire limité qui tourne en rond, etc.) ?

Nous nous efforcerons aussi d’analyser les écueils possibles de ce mode. Il semble que le mineur puisse parfois être un « créneau », une « niche », une stratégie de positionnement visant essentiellement à accéder aux modes de représentation ou de pouvoir, majeurs et dominants. En lissant la catégorie « enfant » pour mieux l’opposer à celle de l’adulte, ne risque-t-on pas de trop simplifier, d’étouffer justement la créativité, la diversité, les modes de fonctionnement alternatifs et les pouvoirs subversifs inhérents aux enfants ? Comment éviter d’emprisonner l’enfant dans la catégorie homogène du mineur ?

Les propositions de communication (15-20 lignes) seront à envoyer à Stéphanie Durrans (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) avant le 30 septembre 2014. Une sélection d’articles retenus par le comité de lecture sera publiée en 2017 conjointement avec les articles issus d’un deuxième colloque (prévu courant 2016) sur les rapports entre littérature de jeunesse et « grande » littérature.

 

The Child’s Voice, the Child’s Gaze

27-28 March 2015

Université Bordeaux Montaigne

Organizers : Stéphanie Benson, Sarah Dufaure, Stéphanie Durrans and Lhorine François

As part of the project entitled “Powers in Minor Mode”, the research group CLIMAS is holding a two-day symposium on the place and the status of children in literature, cinema and the visual arts. The notion of minor is not here to be seen as a derogatory term indicating the lower rank in a binary hierarchical structure, but as a dynamic space of empowerment bringing new vitality to the notion of major. Although the very concept of major usually centres around the overbearing nature of an established model demanding conformity, or the enduring presence of a prescriptive power structure dictating norms and rules, we shall explore the ways in which the notion of minor may also contribute to the deconstruction of the prevailing system, to its collapse due to internal contradictions. In this respect the minor can be seen as a potentially permanent dynamic process that does not seek to access the field of the major and establish any kind of comfortable status therein, but on the contrary explores the active power concealed in margins, asides, retreats.

The Latin origins of the term (infantem / infans) indicate the inability to speak, give a name to those who are silenced, who have no say. The voice of the child has, however, taken over a whole field of literature bringing some critics to belittle the phenomenon as a passing fad. Actually, the phenomenon is much deeper than the commercial trend to which it is commonly associated, and often an ideological and aesthetic project is at work, projects that this symposium proposes to look into. Whether through Walt Whitman, who resorts to a child’s voice at the beginning of Leaves of Grass in order to lay the groundwork for his philosophical and poetic reflexion, or Emerson who develops in his essays “Nature” and “The Poet” the idea that children are natural poets and that poets should seek the child dormant inside them, this perspective potentially undermines the major modes of perception that have frozen into rigidity and inflexibility through constantly needing to label, pigeon-hole and discriminate the world around them. On the contrary, the child creates his or her own rules, transcends prohibition and gazes on the world with a creative and refreshing innocence near to original creativity that has not been tainted by the disillusions of experience. The child, gifted with the almost god-like ability to create his own alternative world, becomes a source for propositions and revolutions in the poetic world. More recently, many writers have also used the voice and gaze of a child in order to express fear, anguish and pain in the face of death, for instance. For psychoanalysts, recovering one’s infant ego may also prove necessary during therapy in order to understand and overcome fear and suffering or to counteract a pathological fear of death.

But how can the writer represent the world of childhood once it has been left behind, once experience has erased the innocence of the child’s gaze? Is this gaze not always already mediated through that of the adult? A number of writers, aware of the challenge offered by the simple choice of a child as “center of consciousness,” have tackled this aesthetic question (Henry James in What Maisie Knew). The world seen through a child’s eyes is simplistic in a way that could appear incompatible with the conception of literature as a noble art. This symposium also addresses the tension between these high and low modes of writing: the ways in which the minor mode of children’s stories informs the major art of writing. Papers should also examine the stylistic strategies employed by writers to represent the word and world of the child. Are specific figures of speech or literary devices more likely to convey the child’s gaze (parataxis vs. hypotaxis, metaphor vs. metonymy, asyndeton vs. polysyndeton, etc.)? Are some writing strategies more appropriate for giving voice to a child’s perception of the world (repetition indicating limited vocabulary revolving in circles, figures of transfer or displacement such as hypallage deriving from the child’s encompassing approach to his or her environment)?

The symposium will also try to analyze the pitfalls of the minor mode. The notion of minor may sometimes appear as a convenient opportunity, an aesthetic or political niche in which to position oneself deliberately as a strategy to gain access to dominant modes of power and representation. By smoothing the child as a category to be opposed to the adult, the risk is that of simplifying a child’s subversive powers and alternative gaze on life, of stifling the creativity and diversity of his vision. How can we avoid framing the child in the homogenous category of the minor?

15-20 line paper abstracts are to be sent to Stéphanie Durrans (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) by September, 30 2014. A selection of peer-reviewed articles will be published in 2017 along with other papers from an additional symposium to be held in 2016 on the relationship between children’s literature and “noble” literature.

 

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