Que fait l'image ? (IN)VISIBILISATION DES SUBALTERNES
(English version below)
Ill. Head on Ice #3, by Lorna Simpson
Colloque international
Jeudi 11 et vendredi 12 juin 2020
Université Paul-Valéry Montpellier 3
Organisé par EMMA et CLIMAS
Keynote speakers
Cheryl FINLEY (Cornell University), historienne de l'art, curator et critique d'art
André GUNTHERT (EHESS), historien des cultures visuelles
L’histoire de la modernité est souvent décrite comme un élargissement du champ du visible et de la visibilité sociale (Benjamin, Crary), entraînant un glissement progressif de la notion de voix, associée à la représentation politique, à celle d’image. La visibilité est aujourd’hui un paradigme central de l’imaginaire social qui structure les processus d’individuation et de socialisation par le biais des identifications, en particulier à l’heure du « tournant visuel » (Mitchell 1994). Désirée, imposée, refusée ou niée, choisie ou subie, la visibilité est devenue une véritable injonction individuelle ainsi qu’un mode de fonctionnement institutionnel (Zawadzki), considérée comme vecteur et garant de l’existence sociale (Honneth).
Partant, est socialement invisible toute personne exclue du discours visuel majoritaire, de la visualité autorisée—eurocentrée, phallocentrée et hétérocentrée—et donc privée de la possibilité d’accéder au regard social et de l’exercer. Les invisibles sont des « sans »[1]— « sans-visages », « sans-voix »—, des acteurs dits faibles, minoritaires ou subalternes : pauvres, précaires, minorités ethniques et sexuelles, jeunes, étrangers, marginaux, dissidents, handicapés, « vies nues » ou simplement anonymes, dont l’image et la parole sont à la marge de l’expression publique. Comme le rappelle Axel Honneth, l’invisibilité dont il s’agit ici n’est pas littérale mais métaphorique : elle procède d’un « déni de reconnaissance » qui sanctionne une « non-existence sociale », générant un sentiment de désaffiliation. D’ailleurs, ce que l’on nomme communément invisibilité sociale (et son corollaire, l’inaudibilité[2]) englobe et croise d’autres formes d’invisibilité—historique, politique et juridique. On peut alors parler d’« invisibilité intersectionnelle » (Purdie-Vaughns et Eibach).
Si la question du regard a longtemps animé les philosophes (Lévinas, Sartre), les psychanalystes (Freud, Lacan) et les sociologues (Mauss, Elias), la critique de la visibilité constitue un courant théorique de fond qui traverse tout le XXe siècle, initié par l’École de Francfort, puis poursuivi par Foucault, Debord, Barthes, mais aussi Morin et Baudrillard (Heinich 2011, 309-313), sans oublier Sontag, Mitchell et Mirzoeff aux États-Unis. La recherche sur l’invisibilité sociale, quant à elle, regroupe des contributions dans le domaine de la sociologie et de la science politique, de la philosophie politique, de la philosophie morale et de l’histoire.
Si le paysage théorique et critique semble déjà bien étoffé, rares pourtant sont les travaux qui abordent l’invisibilité au prisme des médiations visuelles et du point de vue des invisibles. C’est donc dans cette double perspective que cette rencontre propose de poursuivre la réflexion sur les médiations et leurs enjeux, en inscrivant clairement les débats dans le champ des études visuelles, afin de mettre en lumière la double agentivité de l’image—en tant que vecteur d’opacité et embrayeur de visibilité, à la fois source d’aliénation et d’émancipation.
Axes d’études
L’invisibilité sociale n’est pas une qualité ou un état, mais un processus social sous-tendu par des discours et des images, que ce colloque propose de mettre à l’étude selon 3 axes principaux, déclinant ses enjeux institutionnels, médiatiques et artistiques.
1) Invisibilisation : stratégies, dispositifs, institutions
On comprend communément l’invisibilisation comme un déni de représentation ou une absence d’image, si bien qu’on l’analyse principalement à travers les phénomènes de censure, de relégation, d’omission, de négation et d’oubli, donnant lieu ces dernières années à une redécouverte d’archives demeurées jusque-là invisibles[3].
Toutefois, l’hypothèse que nous souhaiterions poser ici est que l’invisibilisation n’est pas forcément l’opposé du visible : bien souvent en effet, l’invisibilisation se voit, et peut être objectivée. Le but sera donc d’étudier les dispositifs et les stratégies mis en œuvre dans l’image et par l’image pour invisibiliser : effacement, spectralisation et déréalisation, opacification des agentivités, naturalisation des stéréotypes ou « diffamations figuratives » (Larcher), instauration de hiérarchies scopiques, abolition des frontières de l’intime et du public, regard criminalisant, misérabiliste ou voyeuriste, racialisant ou minorisant. On se demandera comment des dispositifs tels que discipline biopolitique, ubiquité de la surveillance, publicité, profilage médical ou policier invisibilisent par le biais d’une surexposition. On s’intéressera également à la manière dont les personnes minorisées intériorisent leur invisibilité sociale et la perpétuent à travers des mécanismes de défense tels que camouflage social, « racial passing » et « masquerade » (Riviere). Le but sera de comprendre à quel moment et dans quels contextes l’image devient opaque, perd sa valeur de médiation et masque les relations sociales ainsi que les opérations du regard, les rendant invisibles à elles-mêmes.
Nombreux sont les cas d’invisibilisation hypervisibles. L’exemple le plus paradigmatique dans la période contemporaine est la photographie devenue virale du prisonnier supplicié d’Abu Ghraib, le visage recouvert d’un sac— « the Hooded Man, « the Bagman », « the “Invisible Man of Abu Ghraib” » (Mitchell 2011, 140-1). Mais on peut également penser au mythe de la Vanishing Race au début du XXe siècle, en vertu duquel les populations amérindiennes furent représentées abondamment sur le mode spectral et thanatographique en tant que déjà disparues. Car, in fine, l’invisibilité est autant un contenu iconographique qu’une structure de regard, une visualité, une façon de voir, socialisée par les images et les médias, anciens et nouveaux.
2) Contre-visualités, souveraineté visuelle et « droit d’apparaître »
Comment et pourquoi se rendre visible ? Dans quel langage visuel, avec quels outils visuels, dans quels circuits médiatiques ? Si le tournant numérique a rendu la visibilité plus fluide, plus éclatée, plus horizontale, « le droit d’apparaître » (Butler 2004) et à se représenter passe tout d’abord par l’exercice d’un droit de regard (Brunet) sur l’imagerie majoritaire, ressaisie par le biais de la parodie, la performance, des jeux sur les codes et les identifications, dans des esthétiques baroques ou créolisées. Outre la réappropriation, on pourra s’intéresser à une autre stratégie de visibilisation, l’automédiation, avatar contemporain de l’autoethnographie au XIXe siècle (Pratt), qui permet, en particulier dans le contexte d’une démocratisation des images via la visibilité numérique (Gunthert), d’exercer une agentivité à la fois dans et devant l’image et d’orienter la mise en scène au profit de son propre désir ou besoin de représentation. On s’intéressera au fait que le « devenir visible » est souvent aussi un « devenir voyant » (ou un « être vu voyant »[4]), permettant aux invisibles de regarder et d’être vus selon leurs propres termes, mais aussi de se regarder voir, ou de voir comment ils sont vus. On analysera ce que font ces images, souvent d’inspiration décoloniale ou féministe—ce qu’elles font au regard, aux communautés de récepteurs, à l’opinion publique.
Dans le contexte contemporain, celui de « guerres des images » (Latour), on s’intéressera aussi aux luttes pour la visibilité, qui sont aussi des luttes de représentation (Boidy) et des luttes pour la représentation—au sens politique, symbolique, médiatique et proprement théâtral. Comment des tactiques issues du monde du spectacle et du divertissement peuvent-elles être utilisées à des fins contre-hégémoniques ? À ce titre, comment comprendre la dimension carnavalesque qui caractérise certaines interventions (gay pride, Guerilla Girls, etc.) ? On pourra également s’interroger sur le sens à donner aux notions de « résistance visuelle » et de « militantisme visuel » (visual activism), en particulier à travers diverses formes de créativité urbaine (graffiti, murals, autocollants, etc.). On pourra aussi explorer les nouvelles pratiques de visibilité collectives basées sur la participation (marches, rassemblements, occupations et autres formes d’appropriations de l’espace public) et la manière dont elles réorganisent les corps politiques ou communautaires, et redistribuent la visibilité dans l’espace urbain, ou plus largement public—à moins que la visibilité elle-même ne soit devenue la nouvelle agora (Gunthert « Visibilité des anonymes »).
On pourra enfin se demander si ces stratégies de visibilisation renforcent « la tyrannie de la visibilité » (Aubert et Haroche) et les pratiques normatives, ou si au contraire elles utilisent le vocabulaire de la visibilité pour mieux le critiquer et le détourner (Boidy). In fine il s’agira de savoir si ces contre-images autorisent ou non l’émergence de contre-visualités, c’est-à-dire, selon N. Mirozeff, des « dissensus avec la visualité, une contestation de ce qui est visible »[5], susceptibles de dessiner un autre ordre visuel, un nouveau « partage du sensible » :
Un découpage des temps et des espaces, du visible et de l’invisible, de la parole et du bruit qui définit à la fois le lieu et l’enjeu de la politique comme forme d’expérience. La politique porte sur ce qu’on voit et ce qu’on peut en dire, sur qui a la compétence pour voir et la qualité pour dire. (Rancière 13-14)
3) Vers une post-visualité : l’invisibilité comme tactique ?
Entre la sur-visibilité des uns et l’invisibilisation des autres, la visualité tend à osciller entre le spectaculaire et le spectral—voire à leur combinaison, comme dans l’action terroriste qui, selon Mitchell, allie images de destruction et destruction des images (Mitchell 2011, 64). Ce régime divisé signe un « malaise dans la visibilité » (Boidy), où la visibilité est à la fois valeur et antivaleur (Heinich 2011), piège et privilège, source d’émancipation et d'assujetissement. Le constat de cette crise de la visibilité, qui est aussi une crise des institutions (Zawadzki 294) et une crise des subjectivités, appelle donc un troisième temps—une critique radicale du primat de la visibilité—et invite à oser l’hypothèse de l’invisibilité comme possible exercice de la souveraineté visuelle. Quelle forme de présence, d’action, d’expression et de créativité l’invisibilité rend-elle possible ?
L’invisibilité est traditionnellement comprise comme transgressive du fait de son association au monde de l’illégalité (dissimulation des hackers), de la violence (masquage terroriste), ou encore du sacré (transcendance invisible car incommensurable). Paradoxalement, en désignant ce qui est hors du champ social et en prohibant les médiations, l’invisibilité affole l’imagination et suscite la production d’images. On pourra donc s’intéresser au regard social sur l’invisibilité choisie (contre-culture, capuche, voile) et, plus largement, s’intéresser à la manière dont elle a progressivement cessé d’être perçue comme une transgression pour devenir une forme de protection, si l’on pense par exemple au floutage éditorial des visages dans la presse et les réseaux sociaux au nom du droit à l’image, donnant lieu à des formes de « monstration paradoxale », alliant ostentation et dissimulation (Gunthert, « Destinataire inconnu »).
Dans la période contemporaine, à l’ère de la « post-visualité » (Mirzoeff 277), on pourra se demander si l’invisibilité choisie n’est pas en train de devenir une véritable valeur : celle-ci en effet n’est plus vécue comme une négativité, un abandon pur et simple de la représentation, ou encore comme une forme d’autocensure ou d’iconoclasme radical, mais au contraire comme une manière de relancer des médiations, affranchies des identifications, afin de faire fonctionner le regard social autrement. Associée à l’idée de « singularité quelconque », l’invisibilité choisie manifesterait-elle alors une « post-identité »—une identité sans identification et sans image, détachée de communautés qui pourraient la reconnaître et (se) la représenter (Agamben) ?
Dans le monde de l’art, certains artistes refusent le monumental, le spectaculaire et la mise en scène de soi, développant « des tactiques fondées sur le moins, le manque, l’incertain ou l’invisible »[6]. Comment et pourquoi, par le biais de l’image, revendiquer la discrétion et faire le choix du mineur, de l’infra-ordinaire, voire de l’infra-politique ? On pourra également s’intéresser à toutes les stratégies artistiques qui offrent des images à rebours des codes visuels traditionnels de l’exposition de soi : portraits paradoxaux (décadrés, de dos, visage caché, etc.) chez Lorna Simpson ou Francesca Woodman, opacité chez Carrie Mae Weems et Nancy Spero, silhouettes chez Kara Walker, motifs ou figures barrées chez Jean-Michel Basquiat. Si toutes ces démarchent assument une forme de vulnérabilité et mettent les regardeurs au défi de voir, elles ont surtout en commun de mener une critique des images par des images. Dans cette mesure, il s’agira dans ce dernier temps de savoir si de nouveaux paradigmes représentationnels sont susceptibles de faire émerger de nouveaux paradigmes identitaires et de nouveaux modes de relations sociales et de relations à l’image.
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Le domaine d’application sera la culture visuelle au sens large et sans exclusive : arts (photo, peinture, BD, cinéma, séries, vidéo, jeu vidéo), images (photos de presse, illustrations, affiches, etc.), nouveaux médias, culture matérielle, mais aussi interventions urbaines.
Les communications, d’une vingtaine de minutes, pourront être en français ou en anglais. Elles pourront porter sur l’aire anglophone dans son ensemble.
Les propositions de communication incluront un titre, un résumé (300 mots environ) et une bibliographie, accompagnés d’une courte biographie, indiquant votre affiliation professionnelle et vos coordonnées.
Merci d’envoyer votre proposition avant le 30 juin 2019 aux adresses suivantes : invisibilization.conference@
Une publication avec évaluation en double aveugle fera suite à la rencontre.
Les frais d’inscription s’élèvent à 40 euros pour les chercheurs titulaires ou indépendants, et 20 euros pour les doctorant.e.s.
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NOTES:
[1] Voir Arlette Farge, Sans visages. L’impossible regard sur le pauvre, Paris : Bayard, 2004 ; Guillaume Garcia, La cause des « sans ». Sans-papiers, sans-logis, sans-emploi à l’épreuve des médias, Rennes : PUR, 2013 ; Jacques Guilhaumou, La Parole des Sans. Les mouvements actuels à l'épreuve de la Révolution française, Lyon : ENS éditions, 1998. [2] Voir Céline Braconnier et Nona Mayer, Les inaudibles. Sociologie politique des précaires, Paris : Presses de Sciences Po, 2015 ; Jean-Paul Payet et al. (dir.), La voix des acteurs faibles. De l'indignité à la reconnaissance, Rennes : PUR, 2008. [3] Voir “Erased, Replaced, Omitted, Denied : American Art and Negation” (Journée d’études, Institut national d'histoire de l'art, 1 avril 2015) ; « Pour une iconographie politique des dominés » (séminaire organisé par le LabToP/CRESPPA et coordonné par Maxime Boidy) ; « Donner la parole aux sans-voix, le phototexte engagé » (colloque, MSH Paris Nord, 31 mai-1er juin 2018). [4] Alievitna Hervy, « Que signifie être visible ? Réflexions sur l’invisibilité sociale à partir d’Axel Honneth et de Guillaume le Blanc », communication, Lille, 22 mai 2014, Transphilosophiques, p. 4, https://orbi.uliege.be/
[5] « Countervisuality proper is […] is the dissensus with visuality, meaning ‘a dispute over what is visible’ » (Mirzoeff 24).[6] Argumentaire de l’exposition « L’art de la discrétion », conçue par Quentin Jouret à l’Espace Écureuil du 24 novembre 2017 au 24 février 2018, Toulouse.______________________________
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Call for Papers
The broadening scope of the socially visible world, along with the shift from voice to image, is seen by many (Benjamin, Crary) as a hallmark of modernity. In the wake of the pictorial turn, as individuation processes increasingly involve visual identifications, visibility has become a central paradigm of today’s social imagination. Whether desired, imposed, refused or denied, chosen or endured, visibility is now both an individual injunction and an institutional rationale (Zawadzki), regarded as the vehicle and guardian of social existence (Honneth).
Based on these premises, social invisibility characterizes individuals who are excluded from authorized visualities and majority visual discourses, and thus denied access to the social gaze. Invisible women and men are people “without”—without a face, without a voice. They include the youth, the poor, the disabled, ethnic and sexual minorities, outsiders, rebels, refugees and strangers, but also people living precarious lives or simply anonymous existences, whose images and words are relegated to the sidelines of public expression. As philosopher Axel Honneth argues, social invisibility has to be understood metaphorically, as “a denial of recognition” sealing “social non-existence” and causing feelings of disaffiliation. In fact, what is commonly called social invisibility (and its corollary, inaudibility) is an intersectional phenomenon that encompasses and intersects other forms of invisibility—historical, political, and legal (Purdie-Vaughns and Eibach).
Not only has “the gaze” long been an area of investigation among philosophers (Lévinas, Sartre), psychoanalysts (Freud, Lacan) and sociologists (Mauss, Elias), but the critique of visibility constitutes, in itself, a major theoretical tradition, initiated by the Frankfurt School, continued by Foucault, Debord and Barthes, but also Morin and Baudrillard, as well as Sontag, Mitchell and Mirzoeff in the US. Research on social invisibility, on the other hand, has mainly been the focus of sociology, political science, political philosophy, moral philosophy and history.
However rich and diverse the array of theoretical and critical thought on invisibility may be, invisibility has too rarely been approached from the perspective of invisible individuals and through the prism of visual mediations. The conference therefore proposes to fill these two gaps in order to expand and enrich the nascent field of invisibility studies, but also to shed light on the dual agency of images—as the vectors of both visibility and opacity, alienation and emancipation.
Avenues of Inquiry
Social invisibility is a not an ontological condition, an essential attribute, characteristic or disposition, but a constructed social situation and process, underpinned by discourses and images. This symposium seeks to explore invisibility in three main areas: institutions, media and art.
1) Invisibilizing: Strategies, Apparatuses, Institutions
Invisibilization is frequently equated with an absence of image, a denial of representation; as a result, it is primarily approached through phenomena of censorship, relegation, erasure or oblivion, involving previously hidden, forgotten or invisible archival material.
Yet invisibilization is not necessarily the opposite of visibility. In fact, more often than not, invisibilization is visible and can be objectified. The goal will then be to analyze the various invisibilizing strategies at work in, around and via pictures—effacing, spectralizing, derealizing, obscuring agencies, naturalizing stereotypes, establishing scopic hierarches, abolishing the boundaries between public and private—as well as the different types of invisibilizing gazes—defamatory, criminalizing, miserabilist, voyeuristic, racializing or minorizing. Also deserving attention are the ways apparatuses like biopolitical discipline, ubiquitous surveillance, advertising, medical or police profiling may invisibilize subjects by way of exposure or overexposure. Papers may also focus on how “subalterns” tend to intenalize and perpetuate their own social invisibility through invisibilizing mechanisms such as social camouflage, racial passing, or masquerade. Ultimately, understanding the contexts in which images lose their function and value as mediations, which leads them to mask social relations as well as the invisible operations of the social gaze, is thus paramount.
There are many instances of hypervisible invisibilization. Perhaps one of the most paradigmatic examples in contemporary media culture is the photograph gone viral of a tortured Abu Ghraib inmate with his face covered by a bag—“the Hooded Man”, “the Bagman”, “the Invisible Man of Abu Ghraib” (Mitchell 2011, 140-141). Long before that, the myth of the Vanishing Race granted Native Americans abundant visibility at the turn of the 20th century, but along the spectralizing and thanatographic lines of an already dead people. Such examples show that, in the end, invisibility is not an absence of image, but rather an iconic pattern as much as a configuration of the gaze—a way of seeing, a visuality—socialized by images and the media, both old and new.
2) Counter-visuality, Visual Sovereignty and the “Right to Appear”
Why make oneself visible? And using what visual language, visual tools or media circuits? While the digital turn has made visibility more fluid, less centralized and more horizontal, “the right to appear” (Butler 2004) and to represent oneself is, first of all, a right to look back and (re)appropriate the dominant imagery critically, through parody, performance, plays on codes and identifications, in baroque or creolized aesthetics. Attention should thus be paid to what these critical (usually decolonial or feminist) pictures do—to the social gaze, to interpretive communities, to public opinion. But (re)appropriation is only one visibilizing tactic among many others, like automediation, the contemporary avatar of autoethnography in the 19th century (Pratt), which makes it possible to use agency both inside and in front of pictures, to determine the visual scenario according to one’s own singular representational desire or need, especially in the context of digital visibility and its increased democratization of self-images (Gunthert). Equally of interest is the way becoming visible often means becoming socially sighted, allowing invisible people not only to look and be looked at in their own terms, but also “to be seen seeing”, to see themselves as seers, and to see how they are seen.
Besides, in today’s context of “image wars” (Latour), our attention will focus on the fights for visibility, which are also fights for and of representation(s), in the political and theatrical acceptations of the word. How can visual tactics derived from the world of the spectacle and entertainment be used for counter-hegemonic purposes? What can be said of the carnivalesque dimension that characterizes many interventions (gay pride, Guerrilla Girls, etc.)? Papers could explore the meaning and stakes of notions like “visual resistance” or “visual activism”, especially through forms of urban creativity (graffiti, murals, stickers, etc.). Worthy of attention are also the new, collective practices of visibility based on participation (marches, assemblies, occupations and other forms of appropriation of the public space) and the way they reorganize communal or political bodies, and reshuffle the distribution of visibility in the urban geography and the public sphere—and how they may turn visibility itself into a new agora (Gunthert).
Finally, an important issue will be to determine whether these visibilizing strategies reinforce “the tyranny of visibility” (Aubert et Haroche) and its normative practices, or if instead they use the social vocabulary of visibility to undermine, derail or reroute it (Boidy). Ultimately, the goal will be to know if these counter-images allow the emergence of counter-visualities, i.e., according to N. Mirzoeff, “dissensus with visuality, […] dispute[s] over what is visible’”, likely to delineate another visual order, another visual configuration of the social world, a new “distribution of the sensible” (Rancière):
a delimitation of spaces and times, of the visible and the invisible, of speech and noise, that simultaneously determines the place and the stakes of politics as a form of experience. Politics revolves around what is seen and what can be said about it, around who has the ability to see and the talent to speak. (Rancière 13) [1]
3) Towards Post-visuality: Invisibility as Tactic?
While some individuals are over-exposed and others unseeable, visuality tends to oscillate between two scopic regimes, the spectacular and the spectral—resulting sometimes in their deadly association, as in acts of terror, which combine images of destruction and the destruction of images (Mitchell 2011, 64). This split signals a crisis of visibility (Boidy)—simultaneously regarded as value and anti-value (Heinich 2011), trap and privilege, source of emancipation and subjugation—which also indicates a crisis in institutions (Zawadzki 294) and a crisis of subjectivities. These observations, in turn, invite a radical critique of the primacy of visibility and make room for the premise that invisibility itself may, in fact, be a source of visual agency and a form of visual sovereignty. What kind of presence, action, expression and creativity, if any, does invisibility enable or foster?
Invisibility is commonly construed as transgressive because it has long been associated with crime, violence, but also with all things sacred (transcendence is invisible because it is incommensurable). Yet paradoxically, by designating what is outside the social world and by preventing mediations, invisibility excites the imagination and amplifies the production of images. Papers may therefore interrogate the social gaze on chosen invisibility (hoods, scarves). More broadly, we invite participants to analyze the way invisibility has gradually shifted from a transgressive to a protective strategy, as exemplified, for example, in the editorial blurring or masking of faces in the media and social networks, in the name of “image rights”, resulting in paradoxical forms of visibility combining ostentation and dissimulation (Gunthert “Destinataire inconnu”).
In the contemporary era of “post-visuality” (Mirzoeff 277), is chosen invisibility becoming a positive value? Invisibility seems to be less and less experienced as a form of loss, self-censorship, radical iconoclasm or giving up of representations, but rather as a way to revitalize mediations, which, once freed from identifications, may be able to activate the social gaze in other ways and by other means. Considered from the perspective of Agamben’s notion of “ordinary singularity”, could chosen invisibility manifest a form of “post-identity”—an identity without identification and without image, detached from communities that could recognize, represent, and apprehend it?
In the art world, some artists refuse monumental, spectacular and theatrical self-dramatizations, developing instead “tactics based on subtraction, lack, uncertainty or invisibility”[2]. How and why do artists use pictures to claim discretion? How can pictures endorse and enact the choice of the minor, the infra-ordinary and the infra-political? Along these lines, participants are encouraged to delve into the various artistic strategies that run counter to the traditional visual codes of self-exposition: paradoxical portraits, back views, faces concealed or out of frame (Lorna Simpson, Francesca Woodman), deliberate opacity (Carrie Mae Weems, Nancy Spero) and silhouettes (Kara Walker), crossed-out or erased words and motifs (Basquiat), etc. All these creative endeavors foreground vulnerability and challenge viewers to see, but, more importantly, they critique images in, with and by way of images. In that sense, we would like to determine whether alternative representational paradigms are likely to induce new identity paradigms, but also new ways of relating to oneself, to others, and to images. ______________________________
Papers may deal with any form of visual art and visual culture.
Papers should be 20 minutes in duration and can be in English or French. They may cover any area of the English-speaking world.
Proposals should include a 300-word abstract, together with a title, a bibliography and a short biography.
Please send your proposal by June 30, 2019 to the following addresses: invisibilization.conference@
A publication of peer-reviewed texts will be proposed by the organizers.
Registration fees are 40 euros for lecturers, professors or independent scholars, and 20 euros for doctoral students. _____________________________
NOTES:
[1] Jacques Rancière, The Politics of Aesthetics, The Distribution of the Sensible (Transl. Gabriel Rockhill), London, New York: Continuum, (2004) 2011.
[2] Description of the exhibition « L’art de la discrétion », curated by Quentin Jouret at Espace Écureuil in Toulouse (24 Nov. 2017- 24 Feb. 2018), Toulouse, France.
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