Présentation
Ce séminaire propose de continuer à explorer la relation fertile entre analyse sémiotique de l’image et histoire de l’art / histoire des arts qui existe depuis le début du vingtième siècle. Il s’agira d’explorer la culture visuelle dans ses dimensions théoriques aussi bien que pratiques.
De la théorie formaliste de la visualité pure de Heinrich Wölfflin (1864-1945) qui se pencha sur la langue artistique, ou structure formelle de l’œuvre d’art, au recentrage sur le champ symbolique opéré par Erwin Panofsky (1892-1968) au travers des trois principes d’analyse iconologique (sujet primaire ou naturel , sujet secondaire ou conventionnel, sens intrinsèque ou contenu), un souci constant de partir de l’objet même de l’étude, l’image, se manifeste. L’objectif est d’éviter le risque pointé par Umberto Eco, de la surinterprétation (ou « overstanding » - surestimation - chez Wayne Booth, contrepoint de « understanding »). L’iconologie est ainsi centrée sur le déchiffrement de l’œuvre, prise comme un symptôme culturel, au travers de l’étude de ses sources littéraires ou visuelles. Cette pratique, au-delà des critiques lui reprochant « d’épeler le contenu de l’œuvre » (Daniel Arasse) et de penser l’image sur le mode du langage, a fait émerger la nécessité d’une prise en compte du contexte de l’œuvre. Des théoricien(ne)s comme Mieke Bal insistent sur le fait que la sémiotique est une théorie transdisciplinaire et non purement linguistique, et soulignent au contraire que les interactions contemporaines entre histoire de l’art / histoire des arts et sémiotique ont permis de faire émerger des questions interprétatives essentielles comme la pluralité de l’interprétation, le problème de l’auctorialité, le concept de narration appliqué à l’image, ou les problématiques liées au genre, sans oublier les deux points centraux de l’étude de l’image au XXIe siècle, contexte et réception. Ces notions ont évolué, chez Jonathan Culler par exemple, qui propose de substituer au concept de contexte celui de « framing » ou cadre; quant à l’étude de la réception de l’œuvre d’art, c’est à dire à la production du sens par le récepteur (ou spectateur) de l’image, elle doit être également liée au contexte de réception. Comme W.J.T. Mitchell dans Iconology – Image, Text, Ideology, texte fondateur du champ de la culture visuelle, nous souhaitons continuer à poser la question : « Qu’est-ce qu’une image ? », à laquelle il sera tentant d’ajouter une seconde interrogation : « et à quoi sert-elle » ? L’interrogation de Mitchell, qui se place dans une perspective historique est centrée sur l’image comme pratique symbolique et a permis de poser les bases du champ contemporain des visual studies. Les déclinaisons multiples de l’image dans nos sociétés contemporaines démontrent la nécessité de développer toujours plus nos compétences en analyse visuelle (« visual literacy » selon Mitchell) et de sélectionner les outils les plus pertinents selon l’objet d’étude.
Dans notre quête de ces outils, il sera donc aussi question de narratologie, de sociologie, d’histoire des idées, mais dans une approche qui s’efforcera de renverser quelques habitudes universitaires. Bien des champs convoquent les images aujourd’hui et les confinent à jouer un rôle de témoin, reflet ou contrepoint, leur faisant perdre ainsi toute spécificité. E/VA voudrait redéfinir cette organisation des savoirs et partir de ces images, de ce qui les unit et les rassemble, pour explorer avec un regard neuf des territoires déjà balisés. Pour autant, ce postulat d’une unité spécifique au champ des images n’est pas un constat d’unicité, il s’en faut : une théorie ne s’appliquera pas à toutes les images, ou du moins pas de la même manière. Des images polymorphes et polysémiques imposent une approche rigoureuse et précise, qui reste néanmoins flexible.
Contre tout essentialisme, nous nous efforcerons aussi d’historiciser les objets étudiés, afin de toucher à ce cadre qu’évoque Culler. Il faut ainsi interroger la culture visuelle à l'aune de l'invention, au XIXe siècle, de moyens de produire et diffuser en masse des images populaires et souvent éphémères. Si les cathédrales avaient au Moyen-âge constitué des "livres de pierre" (V. Hugo), les images ne sont plus alors conçues comme des substituts du texte. Elles s'émancipent, se multiplient, abandonnent toute prétention à l'"aura" (W. Benjamin), prennent pour certaines une valeur de témoignage ou d’attestation du réel, quand d’autres sont perçues comme le support de l’imaginaire. Ces images populaires, qui témoignent ou racontent, font également l'objet d'une série de discours contradictoires, entre diabolisation et légitimation, entre le populaire et l'artistique, entre censure et promotion; des discours qui s'amorcent au xixe siècle pour se poursuivre jusqu'au xxie. A travers eux, la culture visuelle accompagne et informe les mouvements sociaux et politiques et esthétiques, bien au-delà de la sphère restrictive de ce qu’il est convenu d’appeler le "culturel"