Le Mineur est souvent envisagé par la recherche universitaire sous l'angle des minorités : il s'agit en général de définir, de circonscrire, ou de donner voix à diverses minorités, littéraires, politiques, sociales, et de les étudier sous l'angle des discriminations dont elles sont victimes et des revendications qu'elles portent, au titre d'une identité voire d'un statut. Il s'agirait pour nous de questionner ce rabattement du Mineur vers la Minorité, d'envisager le Mineur non pas comme un lieu de relégation ou de péjoration, comme un espace inférieur, manquant, ou revendicatif. Il s'agirait d'extirper le Mineur de cette structure binaire hiérarchique, et de rendre compte de ce qu'il peut être en lui-même une alternative puissante, efficace et nécessaire au mode majeur. Dans de nombreux domaines, le Mineur ne semble pas être le moindre terme dans une hiérarchie, mais un espace autonome et créatif, un espace pour lequel on peut choisir délibérément d'opter : il s'agirait donc d'en examiner tous les avantages, après en avoir affiné la définition.
La proposition que nous souhaitons explorer est la suivante : il semblerait que ce qui définisse le Majeur, ce soit l'existence d'un modèle établi auquel il faudrait être conforme, d'une structure de pouvoir, tandis que le mineur se situerait délibérément hors de ce modèle, et s'efforcerait de défaire la structure dominante, de la mettre en tension avec la possibilité d'une contradiction interne. Le Mineur incarnerait ainsi le désir d'échapper aux modèles de domination et de maîtrise, et aux partages que cette domination et cette maîtrise instituent ; il serait un processus actif, toujours « en puissance », ne visant aucunement à accéder au majeur et à s'y stabiliser dans un statut, mais au contraire à explorer la puissance active de la marge, de l'à-côté, du retrait.