Huck Finn, ou le triomphe du mineur - Nicole OLLIER

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Résumés

Français :

Le nom de plume de Mark Twain souligne la dualité de sa vision, marquée par la tension entre majeur et mineur dans les Aventures de Huckleberry Finn, contées par un narrateur enfant, adepte de l’école buissonnière. Le dialogisme à l’œuvre, la carnavalisation du texte sont autant de techniques exigeant du lecteur la sagacité, l’empathie, la remise en question des préjugés. La langue de Shakespeare travestie par des ignares présomptueux est sans doute l’exemple le plus significatif et savoureux de ce dédoublement narratif. Tout en ridiculisant les piètres artistes, ces tirades éclaboussent le Barde anglais et la culture highbrow à laquelle Twain préférait le minstrel-show. Autre fleuron de la culture populaire, le cirque sur lequel Huck porte un regard naïf, leurré par la fausse maladresse d’un clown équilibriste qui l’amène à une foi inconditionnelle en ces arts mineurs. Pour autant, derrière le jeu perpétuel, Huck apprend à reconnaître la laideur morale et à s’indigner devant l’injustice. C’est ce regard et cette voix d’enfant libre, rebelle à la « sivilisation », qui s’oppose à ceux de son ami Tom, happé par le monde adulte des « auteurs » reconnus, mais honnis de l’auteur, qui permet à Twain, avec moult invraisemblances stylistiques et linguistiques — examinées ici par le biais d’une micro-analyse d’extraits — de renverser les tabous et de publier ce qui fut nommé le premier roman américain. C’est dans la dualité majeur / mineur, adulte / enfant, conformisme / rébellion, langue savante / vernaculaire, « fautes » de langue, dans le dédoublement de la voix et du regard, et dans le triomphe du mineur — l’enfant refusant la soumission ou le compromis et fuyant dans le retrait du « Territoire » — que Twain réussit à faire d’un livre prétendument pour enfants un livre majeur de la littérature américaine.

Anglais :

Mark Twain’s pen-name suggests his dual vision, marked by the tension between major and minor in The Adventures of Huckleberry Finn, told by a child-narrator, who loves to play truant. Dialogism, the carnivalisation of the text, are so many techniques requiring clear-sightedness, empathy, and the revision of prejudices. Shakespeare’s language, when travestied by bombastic ignoramuses, may be the most significant example of this narrative duality. While mocking the appalling actors, these cues make fun of the British Bard and of the highbrow culture which Twain did not prize as much as the low-brow minstrel-show. Another of popular culture, the circus on which Huck sheds a naive gaze, fooled as he is by the faked clumsiness of a virtuoso clown who brings him to bear an unconditional faith for these minor arts. Nevertheless, behind the perpetual play, Huck learns to recognize moral ugliness, and to become indignant at injustice. This gaze and this voice, which belong to a free child, a rebel against « sivilisation », opposed to those of his friend Tom, taken up by the adult world of canonical « authors », whom Twain abhorred, allows him, using many a stylistic and linguistic unlikelihood—examined in this article through the micro-analysis of excerpts—enable Twain to transgress taboos and publish what was named the first American novel. Through this duality between major/minor, adult/child, conformism/rebellion, learned language/ vernacular, linguistic « mistakes », through the dual voice and gaze, and in the victory of the minor—the child refusing compromise or submission and flying to the « Territory »—Twain succeeds in bringing a so-called children’s book to the status of a major book in postcolonial American literature.

DOI: http://dx.doi.org/10.21412/leaves_0204

Entrées d’index

Mots-clés : enfance, mineur, vernaculaire, parodie, race, postcolonial, genre, dialogisme

Keywords: childhood, minor, vernacular, parody, race, postcolonial, gender, dialogism

Auteur

Français :

Nicole Ollier , Professeure à l’Université Bordeaux Montaigne, a écrit sa première thèse de doctorat sur les nouvelles de Mark Twain. Son doctorat d’état portait sur Les Voix helléniques aux États-Unis. Les voix des minorités, qu’elles soient celles de l’enfance, de l’ethnicité, de groupes minoritaires ou de genres mineurs, ont toujours eu une résonance à ses oreilles. Elle s’intéresse au Genre, au postcolonialisme, enseigne et pratique la traduction littéraire, poétique, au niveau professionnel ; elle dirige l’atelier collectif « Passages » qui traduit la poésie essentiellement caribéenne ou afro-américaine. Elle aime croiser les arts musicaux, visuels ou chorégraphiques avec la musique des textes. 

Anglais : 

Nicole Ollier , Professor at Bordeaux Montaigne University, wrote her first doctoral thesis on Mark Twain’s short stories. She wrote a second thesis (« Doctorat d’État ») in Comparative Literature at the Sorbonne Nouvelle on Hellenic Voices in the United States: the Voices of Minorities, be they those of childhood, ethnicity, minor groups, or minor genres, have always found an echo in her. Her research is linked with Gender, postcolonialism; she teaches and practises literary, poetic translation, including for future professional translators. She directs the collaborative workshop « Passages », mostly dedicated to the translation of Caribbean or Afro-American poetry. She likes to marry musical, visual, or choreographic arts with the music of texts.

 

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