Résumés
Français :
Cet article se penche sur une série de films d’horreur américains, essentiellement réalisés entre 1971 et 1984, dont le scénario tourne autour de l’humiliation de personnages « souffre-douleur » qui, à force d’être poussés à bout, décident de se venger en exécutant leurs bourreaux dans des scènes de meurtres spectaculaires. L’exemple le plus célèbre de ce genre jamais officiellement répertorié ou théorisé dans l’histoire du cinéma américain est l’adaptation du roman de Stephen King Carrie par Brian De Palma (1976). Ce type de films inverse la représentation américaine traditionnelle de la justice sous son versant vengeur : généralement prise en charge par la figure héroïque du vigilante de la Frontière ou du super héros des comic books contemporains, la vengeance est ici assumée par une figure vulnérable, physiquement diminuée, faible ou difforme. Aberrante dans un contexte culturel américain, cette figure rappelle la connexion archaïque entre corps « grotesque » et corps « politique » qui s’opérait dans les rites carnavalesques médiévaux comme la Fête des fous ou le charivari. Dans ces rites, des personnes marginalisées, n’appartenant à la communauté que de manière socialement ou symboliquement périphérique (enfants, jeunes adultes non mariés, personnes difformes) étaient symboliquement intronisées pour jouer des rôles socio-politiques primordiaux (sanction des transgressions, parodie du sacré, etc.). Cette tradition culturelle populaire fut assez largement censurée aux USA par le Puritanisme. Dès lors, comment comprendre la résurgence du rapport entre corps vulnérable et corps « politique » dans le cinéma américain à partir de 1971 (et sa destitution à partir du milieu des années 80) ? C’est cette question que je me propose d’explorer dans ce texte.
Anglais :
This article is concerned with a series of American horror films directed between 1971 and 1984, the plots of which revolve around the story of a bullied social outcast avenging his (or her) persecution by murdering his/her tormentors in a series of gory set-pieces. The most famous example of this genre which has never been theorized in American film history is Brian De Palma’s Carrie (1976). By laying the exercise of (rough-) justice within the hands of a vulnerable “misfit” or “fool,” these movies radically invert the traditional representation of justice in American culture. Indeed, this function has been traditionally taken on by the heroic vigilante figure of the Frontier myth, or the “hard-body” of contemporary super-hero/action movies. The figure of a vulnerable, physically disabled vigilante seems to belong to an archaic cultural frame: the European carnivalesque judicial rituals such as the charivari, in which marginalized people were ritually invested with political powers. In North America, this cultural tradition was repressed by Puritanism. Therefore, how can one account for the emergence of this genre and of this figure of a vulnerable, persecuted outcast becoming a murderous vigilante in the early 1970s? And what led to its disappearance in the mid-1980s?
DOI: http://dx.doi.org/10.21412/leaves_0309
Entrées d’index
Mots clés : vulnérabilité, film d’horreur, slasher film, carnaval, charivari, fool, masque, costume, difformité
Key words: vulnerability, horror film, slasher film, carnival, rough music, fool, masque, costume, physical disability
Auteur
Français :
Docteur en civilisation et cinéma anglo-américain, Florent Christol enseigne l’anglais en lycée et donne des cours sur le cinéma de Tim Burton, le film d'horreur américain, et le cinéma "Reaganien" à l’Université Paul-Valéry, Montpellier 3. Ses travaux portent sur les figures carnavalesques et l’esthétique du grotesque dans le cinéma et la culture anglo-américaine. Il a publié des articles dans des revues telles que Simulacres, CinémAction, Cinémas, Lignes de fuite, et dans des ouvrages collectifs, dont le volume Cinéma et Histoire (Michel Houdiard), George Romero, un cinéma crépusculaire (Michel Houdiard), Le Sud au cinéma (Presses de l’école Polytechnique), Représenter l’horreur (Rouge Profond) et les actes du colloque de Cerisy sur Stephen King et l'horreur contemporaine (Bragelonne). Il prépare un livre sur « Hop-Frog » (Edgar Poe, 1849) et le mythe culturel du « Foolkiller » dans le cinéma d’horreur américain.
Anglais :
Florent Christol received his PhD in American cinema and history from the University of Poitiers. His research on carnivalesque representations in American culture has been published in journals such as Simulacres, CinémAction, Cinémas, Lignes de fuite. He has also contributed book chapters to several collections including Cinéma et Histoire (Michel Houdiard), George Romero, un cinéma crépusculaire (Michel Houdiard), Le Sud au cinéma (Presses de l’école Polytechnique), and Représenter l’horreur (Rouge Profond). He teaches English and film studies, including courses on Tim Burton and on the American horror film at the University Paul-Valéry, Montpellier 3, and is currently writing a monograph on Edgar Allan Poe’s “Hop-Frog” (1849) and the cultural myth of the Foolkiller in American horror cinema (under contract with Rouge Profond editions).